L’ordre établi après la deuxième (2ème) guerre mondiale, semble avoir pris fin. Selon certains chercheurs comme Richard Haass (2019), les institutions mondiales ont échoué à s’adapter aux nouvelles conditions et réalités du monde, notamment les relations de pouvoir, les nouveaux acteurs (Corée du Nord, Iran, Chine), l’émergence des acteurs non étatiques (les réseaux de trafiquants de drogue, les réseaux de terroristes), Les technologies et le contexte politique. Le fait palpable est le retrait des États Unis de l’Afghanistan en 2021. De nouveaux acteurs se positionnent : la Russie, la Chine et dans une certaine mesure, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.
Un nouvel ordre mondial est en construction et cela, en fonction des intérêts géopolitiques, stratégiques, sécuritaires et économiques. La Chine met en avant des stratégies basées sur les échanges commerciaux (qui sont passés de dix (10) milliards d’euros en 2000 d’échanges commerciaux à deux cents (200) milliards d’euros avec l’Afrique en 2020). La Russie, réinvestit sa position jadis occupée en Afrique, c’est-à-dire sous l’ère URSS, en offrant des partenariats en défense et sécurité face aux montées des extrémistes violents.
L’Afrique est encore malheureusement au cœur et en proie à un autre nouvel ordre. Elle est devenue l’arène dans laquelle les pays occidentaux et les nouveaux blocs commerciaux cherchent à s’affronter sous l’effet d’une convoitise conduite essentiellement par ses nombreuses et variées ressources naturelles. L’UE et particulièrement, la France qui a continué sa domination sur ses anciennes colonies, est obligée de repenser sa politique. Elle ne veut plus se faire trépigner et abandonner ses positions d’antan où incontestablement, elle était seule et au-devant de la scène. Aujourd’hui, elle est devenue très impopulaire et a perdu toute crédibilité vis-à-vis d’une jeunesse africaine désormais déterminée à ne pas renouer avec les anciennes pratiques. Ainsi, en désespoir de cause, elle veut influencer la politique interne de ses anciennes colonies par ses suppôts blottis dans les méandres des organisations sous régionales et au biais d’un multilatéralisme désuet et anachronique, continuer à les subjuguer. Bref ! c’est une nouvelle stratégie qui consiste à diriger les organisations sous régionales dans l’ombre.
De toute évidence, c’est dans ce contexte que des citoyens s’interrogent sur la nécessité et la portée de la tournée africaine du président Macron dans trois (03) pays : Cameroun, Benin et la Guinée-Bissau. Que vient-il chercher au moment où l’image de la Françafrique est au plus bas ?
Au Cameroun :
Que vient offrir le Président français aux camerounais ? sous quel prisme analyser cette visite ?
D’abord, il faut noter qu’il y a une transition qui s’y prépare. Paul Biya a plus de quatre-vingt-dix (90) ans. Il va de soi que sa succession doit être préparée. D’où la rencontre avec les opposants Camerounais comme Maurice Kamto. Ensuite, Macron veut reconquérir le Cameroun qu’il avait mis de côté pendant son premier (1er) quinquennat. Il s’agit de la question sécuritaire et politique notamment : Boko Haram (à l’extrême nord) et le conflit des séparatistes anglophiles (à l’ouest et sud-ouest). Enfin, le Cameroun est la première (1ère) économie de l’Afrique centrale et partage des frontières avec la Centrafrique où la France qui intervenait seule, rencontre assez de difficultés et cela, vis-à-vis de la montée en puissance des groupes militaires russes qualifiés à tort ou à raison de mercenaires par les occidentaux, le Tchad et la Guinée équatoriale (des pays producteurs de l’or noir ne sont pas à négliger car nous sommes en géopolitique).
Au Bénin, il n’y a pas d’agenda clair pour le jeune Président français qui se cherche. Ce qui laisse penser qu’au-delà des questions sécuritaires, culturelles et droits de l’homme qui seront abordées, Macron pourrait surtout chercher le soutien du médiateur désigné de la CEDEAO pour la Guinée, M. Yayi Boni. Cet aspect diplomatique de la visite, finira en Guinée-Bissau avec le président Umaro Sissoco Embaló qui est le nouveau président en exercice de la CEDEAO.
En Guinée -Bissau, Macron voudrait travailler et s’assurer des bonnes grâces du nouveau Président du Sommet de la CEDEAO. Certes, elle (CEDEAO) lui était déjà acquise mais qui sait ? les intérêts géostratégiques étant soumis à une forte perturbation. Ainsi donc, Macron doit s’assurer que la CEDEAO continuera d’appliquer sa politique de deux (02) poids deux (02) mesures.
Dans le domaine de la sécurité, la France ne voudrait jamais quitter le Sahel, notamment le Mali. Sa nouvelle stratégie sera -t-elle donc d’encercler le Mali, en assurant ses arrières dans les pays limitrophes du Mali et attendre que « les enfants terribles » ou « Tiènygbanani en bambara » le couple gagnant ASSYMI-CHOGUEL, cède le fauteuil à un Président civil faible et maniable à souhait que les démocraties sous les cocotiers savent placer à la tête de nos pauvres États ? ou est-ce peut-être parce que le couple ASSYMI-CHOGUEL est en train d’échapper à la France, que le Mali subit un véritable abandon, cette fois ci à l’atterrissage diplomatique et sécuritaire ?
Aussi, sur le plan économique, la Guinée est un terrain à reconquérir. Macron qui désire « reposséder » ce pays qu’il avait plus ou moins perdu avec le Président Professeur Alpha Conde, (ancien activiste de mai « 68 » et sorti de la Sorbonne) mais que la providence et les contingences, lui fait désormais espérer grâce à une nouvelle Transition militaire guinéenne, ce, depuis le 05 septembre 2021 et sans transition pour la France, qui se voit avec comme pièce de rechange, du Sorbonnard au Légionnaire ayant appartenu aux Forces Spéciales françaises en la personne du Président Colonel Mamadi DOUMBOUYA (nouvel homme fort de Conakry). Ce repositionnement de la France en Guinée, pays stratégiquement riche en minerais et disposant du gisement de fer le plus important (149 KM linéaire) non encore exploité avec l’une des meilleures teneurs (65-70% de teneur en fer) et surtout entretenant de très bons rapports avec le voisin Malien, reste hautement significatif. Il faut le dire, la Guinée a une tradition de sentiment anti-français qu’il faille changer pour l’Élysée ! sentiment anti-français développé en Guinée à la suite du long et douloureux bras de fer issu du referendum du 28 septembre 1958, où la « Communauté » proposé à l’aune de la cinquième (5ème) République française a été rejetée par le vaillant peuple de Guinée, uni et solidaire sous le leadership de son père de l’indépendance et ses compagnons, le Président Camarade Ahmed Sékou TOURÉ. Mais l’ethnocentrisme a transformé et fragilisé ce pays et ne permet plus de rassembler les Guinéens autour d’un idéal commun : celui de défendre la nation Guinée avant l’ethnie. Ce triste et regrettable, contexte socio-politique guinéen, le rend vulnérable, propice et réceptif à un pacte néocolonial que nous rechignons.
Plus que jamais, outre la Guinée, il est temps que l’ensemble des pays de la sous-région se rassemblent et s’unissent à l’instar de l’Union Européenne pour assurer leur propre sécurité. À cet effet, mutualiser nos forces demeurera un impératif majeur !
Pour finir, l’embargo sur le Mali a prouvé que si nous mutualisons nos forces, on s’en sort. Grâce à la Guinée et la Mauritanie, le Mali n’a pas été asphyxié et humilié dans sa résilience face aux sanctions économiques iniques de mémoire d’africain, jamais imposées à un État membre par une organisation internationale sous la dictée de forces étrangères. Nous devons revenir à l’idéal des pères de l’indépendances que sont les panafricanistes convaincus et pères fondateurs de nos États : Modibo Keita, Kwame Nkruma et Ahmed Sékou Touré qui parlaient d’une même voix, pour reconstruire l’unité africaine.
Sérégbè Keita
Doctorante en études politiques
Université d’Ottawa
Canada