Ce sont des textes chargés d’histoire que les éditions L’Harmattan Guinée remettent à la disposition du public. L’éditeur est en train de republier, avec l’aide des autorités de transition, l’intégralité des œuvres complètes de l’ancien président guinéen Ahmed Sékou Touré, au pouvoir depuis l’indépendance en 1958 jusqu’à sa mort en 1984. L’éditeur annonce la publication de 34 titres. Ces livres sont le reflet d’une époque chargée d’ambitions pour l’Afrique et la Guinée, mais aussi de dérives du pouvoir. Sansy Kaba Diakité, directeur des éditions L’Harmattan Guinée, est l’invité de RFI.
RFI : Qu’est-ce qui a conduit l’Harmattan Guinée à lancer ce grand chantier de republication des œuvres complètes d’Ahmed Sékou Touré ?
Sansy Kaba Diakité : Les Guinéens ont soif de leur histoire et nous avons rencontré le président Mamadi Doumbouya dès la prise de pouvoir par l’armée, par le CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement]. Il nous a exprimé la volonté du Comité à republier toutes les anciennes œuvres sur la Guinée. Les œuvres du président Ahmed Sékou Touré en faisaient partie. Donc, nous avons saisi la balle et nous nous sommes dits : « pourquoi pas ». Cela va permettre à la jeunesse guinéenne d’avoir accès au patrimoine littéraire guinéen.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, que les autorités de transition aient eu cet attachement à la republication des œuvres d’Ahmed Sékou Touré. On peut rappeler qu’elles ont décidé de rebaptiser l’aéroport de Conakry, « Aéroport Ahmed Sekou Touré ». Est-ce qu’elles cherchent, comme Alpha Condé l’avait fait avant elles, à capter une partie de l’héritage politique de Sékou Touré ?
Je ne pense pas. Le président Mamadi Doumbouya a dit en prenant le pouvoir qu’il rêvait d’une « Guinée rassemblée ». Le président a envie que les Guinéens aient accès au patrimoine culturel guinéen.
Mais tout de même, on peut bien imaginer qu’en republiant les textes d’Ahmed Sékou Touré, les autorités cherchent aussi à séduire une partie des Guinéens qui restent attachés à la figure du père de l’indépendance ?
Ce n’est que justice. Le président Ahmed Sékou Touré est l’un des pères fondateurs de cette nation. Nous n’allons d’ailleurs pas rééditer que les œuvres du président Ahmed Sékou Touré. Nous avons un projet de republier les œuvres de Nénékhaly Condetto Camara, de Bah Thierno Abdourahmane, de Sikhé Camara pour le bonheur des lecteurs guinéens.
Est-ce que vous espérez que ces textes seront commentés, débattus, critiqués ?
Bien sûr. Nous allons faire une présentation officielle de ces textes. Je pense que ça va susciter des débats, on va échanger. Je sais qu’il y aura beaucoup de remous, mais on ne peut pas construire un pays avec une partie de l’histoire. Il faut l’ensemble de l’histoire.
On trouve dans les textes de Sékou Touré des écrits visionnaires sur l’unité africaine ou sur la lutte contre le néocolonialisme. Mais il y a aussi, dans son œuvre, des textes qui font froid dans le dos. Dans le livre « Qualifier le pouvoir populaire », par exemple, Sékou Touré écrit : « Si l’éducation échoue, si la persuasion demeure sans effet, alors la Révolution est obligée de faire appel à la seconde méthode, la répression qui, elle, n’échouera pas ». Est-ce qu’on ne voit pas dans ses œuvres tout de même aussi s’annoncer la violence du pouvoir de Sékou Touré ?
Tout pouvoir a une partie vraiment sombre. Nous reconnaissons ce qui s’est passé pendant le premier régime par rapport aux répressions qui sont inadmissibles, nous sommes tout à fait d’accord. De grands intellectuels tels que Telli Diallo, Keïta Fodéba et d’autres sont passés par ces périodes violentes. Il y a des moments de bonheur, il y a des moments de difficultés dans l’histoire de notre pays. Mais nous devons les regarder sans passion pour que la Guinée puisse aller de l’avant. Et aujourd’hui, la Guinée n’a pas de livre d’histoire générale ! Je profite de votre émission pour faire un appel aux historiens guinéens, aux pouvoirs publics guinéens. Les Guinéens aujourd’hui doivent pouvoir s’asseoir pour écrire l’histoire de la Guinée. C’est important.
En publiant tous les textes de Sékou Touré, vous ne donnez de l’histoire qu’une seule facette, celle du parti au pouvoir à l’époque, le Parti Démocratique de Guinée (PDG). Comment pensez-vous aussi faire entendre aussi la voix de ceux qui ont été les victimes du parti-État, toutes ces personnes par exemple qui ont été enfermées, torturées au camp Boiro ?
Notre rôle, c’est de permettre la circulation des idées. Dans ce cadre, nous avons donné la parole aux victimes et nous donnerons la parole aussi à ceux qui sont de l’autre camp. Notre objectif, au sein des éditions L’Harmattan, c’est de permettre qu’il y ait un dialogue, des discussions, pour permettre d’aller de l’avant, faire en sorte que toutes les parties aient la parole pour qu’on puisse vraiment tirer le meilleur pour l’avenir de la Guinée.
De quelle manière avez-vous pu retrouver tous ces tomes des œuvre complètes de Sékou Touré qui sont maintenant quasiment introuvables ?
Ça s’est vraiment fait avec difficulté. Je n’ai jamais vu quelqu’un en Guinée qui avait l’intégralité de ces œuvres. Nous sommes allés en famille, au sein du parti, nous avons lancé des appels pour que les Guinéens qui avaient quelques exemplaires dans leur maison puissent nous les passer pour qu’on puisse les numériser. Et en faisant ce travail, j’ai vu la difficulté qu’on a aujourd’hui en Guinée de garder les archives. Je lance un appel pour qu’on puisse réellement sauvegarder ces archives. Il est important que la bibliothèque nationale puisse jouer son rôle, que les archives nationales puissent jouer leur rôle aussi.
Avec RFI