Dans une interview que vous nous avez accordée en 2017, vous avez invité vos collègues magistrats à faire attention sinon selon vous, il y a un gros risque que vous disparaissiez non pas en tant que magistrats mais en tant que pouvoir judiciaire, de nos jours, nous constatons avec regret un acharnement à l’encontre de votre corps pas plus tard que quelques jours, on vous a tous pris pour des marionnettes, des magistrats à la solde des pouvoirs politiques et de la richesse, Monsieur DIAWARA, face à cette situation qui vous déshonore tous sans aucune distinction, nous souhaiterions savoir votre point de vue là-dessus ?
Mohamed DIAWARA : J’avoue qu’une telle chose est un désagrément non pas à l’encontre des magistrats mais à l’encontre de toute une République.
Avec tous les aménagements juridiques faits en faveur de la réforme du secteur de la justice, malgré toutes les voies de recours mises à la disposition du citoyen, on continue toujours à violer les lois de la République en s’attaquant injustement à tout un corps.
Je trouve anormal qu’on continue à jeter de l’anathème aux magistrats sans raison sérieuse. Cette nouvelle forme de pression est un stratagème que des personnes mal intentionnées mettent en œuvre pour téléguider les magistrats indécis. Dès lors que cela est connu, qu’il pleuve ou qu’il neige, aucun magistrat ne doit céder à de telle pression. Je ne vois aucune raison qu’on cède à l’intimidation au moment où nous ne sommes soumis qu’à l’autorité de la loi.
Ne sommes-nous pas ceux qui décident de la vie et des biens des êtres humains ? A cet égard, ne sommes-nous pas ceux qui agissent en lieu et place de Bon Dieu ?
Quelque soit votre statut dans la Société, accepterez-vous qu’on diffuse des allégations diffamatoires et injurieuses pour souiller votre dignité laquelle est pourtant sacrée et protégée par l’Etat conformément à l’article 5 de la constitution ?
J’avoue que ces allégations diffamatoires et injurieuses bafouent l’image de notre justice, elles ne se limitent pas à celle du magistrat à l’encontre duquel elles sont faites en violation flagrante de la constitution or qu’en son article 22, il est fait obligation que chaque citoyen se conforme à la constitution, aux lois et aux règlements.
Ne savez-vous pas qu’en la matière l’outrage fait par écrits, paroles, gestes, menaces ou envoi d’objets quelconques dans la même intention et visant un magistrat ou un assesseur dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, est puni d’un emprisonnement de 1 à 6 mois ?
D’ailleurs, si l’outrage a eu lieu à l’audience d’une cour ou d’un tribunal, il est puni d’un emprisonnement de 1 mois à 2 ans.
Il est aussi important tant pour le citoyen lambda que tout autre citoyen de savoir que lorsqu’un ou plusieurs magistrats ou assesseurs des cours et tribunaux, ont reçu, dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, quelque outrage par paroles, écrits ou dessins non rendus publics mais tendant, dans ces divers cas, à porter atteinte à leur honneur ou leur délicatesse, celui qui leur a adressé cet outrage est puni d’un emprisonnement de 1 mois à 2 ans.
A vous écouter M. DIAWARA, on vous croit défendre votre corps qui était censé mettre au pas tout citoyen qui violerait les lois de la République or, au lieu qu’il mette les citoyens au pas, il est souvent mis au pas par ceux-ci du fait de certains magistrats mis à l’index. Qu’en dites-vous ?
Mohamed DIAWARA : Rire…, là, là là…. vous vous trompez ! Je ne défends personne dans la mesure où il peut y avoir des brebis galeuses parmi nous. Je précise d’ailleurs qu’aucun corps ne peut se dire parfait dans la mesure où nous venons d’un monde différent, nous sommes éduqués de différentes manières encore moins, nous ne pouvons avoir la même volonté de bien faire.
Permettez-moi de préciser autre chose, de même il peut avoir des brebis galeuses parmi nous, de même il peut y avoir des magistrats professionnels et intègres mais il arrive souvent qu’on s’attaque à tous les magistrats sans aucune distinction, je trouve cela inconcevable, inadmissible et irresponsable de la part de ceux qui agissent de la sorte.
Il arrive même sans raison sérieuse, qu’on s’attaque aux magistrats indépendants, intègres, professionnels et dynamiques.
J’avais dit dans l’une de mes interviews, je cite : « j’ose croire que l’impunité en Guinée est orchestrée par la majorité des guinéens car le constat est qu’on n’apprécie la justice que lorsque la décision qu’elle a prise est favorable à notre famille biologique, idéologique ou politique et le contraire lorsqu’elle lui est défavorable. Cet état de fait conduit certains magistrats indécis à la dérive car dominés soit par l’opinion publique soit par la pression populaire ou par l’influence du pouvoir en place. Si vous remarquez bien, de nos jours, certaines personnes ignorent la gravité des injures et diffamations adressées au président de la République, aux magistrats, aux ministres j’en passe et d’autres ignorent l’incitation à la violence sur les réseaux sociaux et à travers les médias. En principe ces personnes n’ont de place qu’en prison. Chaque guinéen doit comprendre que l’incompréhension des principes démocratiques est assimilable à l’ignorance de la loi. S’il est évident que nul n’est censé ignorer la loi, il reste incontournable que les règles démocratiques sont à respecter à la lettre, sa mauvaise compréhension conduit à la dérive et ne saurait être pardonnée quel que soit le bord politique de l’infracteur ou du transgresseur de la loi pénale» fin de citation.
Notre mission, en tant que jeunes magistrats modernes, est de suivre les traces de nos aînés qui ont su préserver notre dignité à travers des décisions courageuses malgré les dangers de la profession. Mais au contraire, s’il est vraiment établi qu’un magistrat est indélicat, il nous plaira bien, je dis bien, qu’il soit exclu de notre corps.
Puisque le comportement indélicat d’un seul magistrat est susceptible de lancer du discrédit à toute la famille judicaire.
Puisqu’une confiance perdue par le fait d’un magistrat ne peut restaurer aisément la confiance du citoyen sans qu’une sanction adéquate ne soit prise à son encontre, nous avons tous intérêt de bien faire, quel que soit le prix à payer.
Je ne vois pas en quoi un magistrat refuserait d’agir en toute indépendance dès lors qu’il tire son indépendance de la constitution, au même titre que les pouvoirs politiques, bien sûr.
J’avoue qu’en exerçant convenablement le devoir qui leur incombe, les magistrats de l’Afrique débarrasseront leurs pays respectifs de la plupart des maux dont ils souffrent notamment le détournement de deniers publics, la corruption, la prise illégale d’intérêts, le blanchiment de capitaux j’en passe …. Mais hélas ! C’est une déception pour toute personne loyale à sa patrie de constater le comportement fourbe de certains de ses pairs.
Qu’on me dise à présent, sans le concours précieux des magistrats, l’Afrique pourra-t-elle construire un avenir radieux pour ses fils et filles?
Les avoirs illicites qui sortent de ses frontières de manière illégale et récurrente, pourront-ils être aisément rétrocédés à qui de droit sans les institutions judiciaires fortes ?
Ne savez-vous pas que les cours et tribunaux africains ont un rôle particulier à jouer pour sauvegarder nos immenses richesses ?
N’êtes-vous pas informés que l’Afrique n’a jamais été un continent pauvre mais plutôt un continent appauvri ?
Dès lors que nous en sommes informés, n’est-il pas louable qu’un procès des délinquants économiques et financiers soit tenu dans tous les Etats de l’Afrique?
Ce procès ne serait-il pas un moyen dissuasif de protéger les richesses des pays africains qui, sans nul doute, continuent à faire vivre l’Occident au détriment des véritables bénéficiaires que nous sommes ?
Force à la loi pour que l’Afrique puisse sauvegarder l’intérêt du dividende démographique qu’est la jeunesse africaine.
Merci Monsieur DIAWARA, de votre aimable disponibilité.
Mohamed DIAWARA : C’est à moi de vous remercier pour l’intérêt accordé à mes idées.
Propos recueillis par
Daouda Yansané
Spécialiste des questions
Juridiques et judiciaires
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